Comme chacun sait, ce projet de loi, qui devrait être soumis à l’Assemblée Nationale à partir de la fin Mars 2021, découle des propositions, formulées à l’occasion de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), initiée en Octobre 2019.
Sans s’attarder (car là n’est pas notre propos) sur le décalage entre les propositions remises par la CCC le 28 juin 2020, et la manière dont le Gouvernement a proposé de les traduire dans la Loi, il faut toutefois dire que ce projet est, globalement, jugé insuffisant, et loin de permettre d’atteindre les objectifs climat de la France, de sorte que son évolution, à l’occasion des débats parlementaires, est possible.
La présente analyse n’est donc – au mieux – qu’un point d’étape.
S’agissant de la commande publique, la CCC préconisait, dans sa mesure 7.1 du chapitre « Produire et Travailler », de « renforcer les clauses environnementales dans les marchés publics ».
Cette préconisation est évidemment pleine de bon sens : la commande publique représente environ 200 milliards d’euros par an, soit 10 % du PIB national, et présente donc un effet d’entraînement indéniable (ce que rappelle d’ailleurs déjà expressément la Loi « Transition énergétique »* d’août 2015, codifiée à l’article L. 541-1 du Code de l’environnement).
* LOI n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte
C’est la raison pour laquelle, pour ne citer qu’un exemple, le Plan national d’actions pour l’achat public durable 2015 – 2020 fixait déjà comme objectif que 30 % des marchés passés au cours de l’année 2020 comprennent au moins une disposition environnementale.
Dans les faits, seuls 18 % des marchés publics passés en 2020 comprenaient une clause environnementale.
La préconisation de la CCC reste donc pleinement nécessaire.
Toutefois, une nette progression est à noter : en 2009, seuls 2,6 % des marchés* comportaient une clause environnementale. En 2013, ce chiffre passait péniblement à 6,7 %.
Les acheteurs publics sont de plus en plus acteurs d’un achat public écoresponsable, et à la recherche de solutions concrètes, de sorte qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure.
* De 90.000€ HT et plus
Pour ce faire, le projet de Loi contiendrait deux mesures phares :
- D’une part, les dispositions de l’article L. 2112-2 du Code de la commande publique prévoiraient désormais que « les conditions d’exécution prennent en compte des considérations relatives à l’environnement » ;
- D’autre part, le Code de la commande publique prévoirait qu’au moins un des critères de sélection « prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre ».
Si l’avancée est notable, elle n’en reste pas moins modeste.
D’une part, ces dispositions ne seraient pas applicables dès publication de la Loi, le projet prévoyant une entrée en vigueur de ces dispositions à une date fixée par décret et, au plus tard, à l’issue d’un (long) délai de cinq ans.
D’autre part, ces dispositions manquent peut-être d’audace, et d’efficacité.
S’agissant du critère environnemental de sélection des offres, rien n’est dit sur les aspects pouvant être concrètement pris en compte au travers de ce critère, ni sur l’importance d’un tel critère dans la note finale des soumissionnaires.
Or, il s’agit de deux points cruciaux.
L’importance du critère, c’est-à-dire sa pondération ou sa hiérarchisation, relève d’un jeu d’équilibre complexe :
- Trop faible, le critère n’aura pas d’impact, et le marché ne sera pas attribué à l’offre la mieux disante environnementalement ;
- Trop élevée, le critère pourrait décourager les opérateurs de répondre, ou conduire à attribuer le marché à l’auteur d’une offre ne répondant qu’imparfaitement au besoin de l’acheteur ;
L’absence de précisions sur les aspects pouvant être appréhendés par le biais de ce critère est également regrettable.
En effet, donner des pistes, des exemples, permettrait de mettre le pied à l’étrier des acheteurs publics encore réticents à la démarche, non pas en raison d’un manque d’intérêt pour la chose environnementale (ce n’est concrètement presque jamais le cas), mais par crainte pour la légalité de leurs procédures de passation : la réalité du terrain est que nombre d’acheteurs publics disposent de moyens humains, techniques et financiers limités, ne permettant tout simplement pas d’assurer la sécurisation juridique de leurs procédures de passation. Une telle nouvelle disposition représenterait donc une complexité supplémentaire, à laquelle ils ne sauront faire face.
La mise en place d’un critère environnemental obligatoire, sans autre démarche pédagogique, pourrait donc être contre-productive, conduisant certains acheteurs publics à deux types d’excès : renoncer à la passation de marchés (ou, tout du moins, au respect des obligations de publicité et de mise en concurrence), ou mettre en place des critères environnementaux trop pointus, et/ou sans rapport avec l’objet du marché, décourageant là encore les opérateurs de répondre.
S’agissant des clauses environnementales, la notion de « prise en compte de considérations relatives à l’environnement » reste relativement floue. Surtout, la disposition ne dit rien sur le contenu d’une telle clause, sur le contrôle à mettre en place par l’acheteur et sur les mécanismes à mettre en place pour effectivement sanctionner l’attributaire méconnaissant ses engagements environnementaux.
Sur ce dernier point, toutefois, il est intéressant de noter qu’une autre réforme pourrait s’avérer extrêmement utile : celle des Cahiers des Clauses Administratives Générales.
La réécriture de ces contrats-types est en cours, et, après une consultation publique en début d’année 2021, les nouvelles versions devraient être adoptées d’ici au 1er avril 2021.
Or, les travaux de révision de ces CCAG ont, notamment, été irrigués par l’idée d’y insérer de nouvelles clauses types, relatives au développement durable.
Ainsi, à coté de clauses types relatives à l’insertion sociale, se trouve une clause environnementale générale, rédigée, en l’état, de la manière suivante : « Les documents particuliers du marché précisent les obligations environnementales du titulaire dans l’exécution du marché. Ces obligations doivent être vérifiables selon des méthodes objectives, et faire l’objet d’un contrôle effectif ».
Les réformes du Code de la commande publique et des CCAG, cumulées à l’adoption d’un nouveau plan national d’actions pour l’achat public durable, permettraient, si elles aboutissent, d’entrevoir un cadre juridique qui n’a jamais été aussi tourné par l’achat public responsable.
De quoi être enthousiaste donc !